THOMAS BERGER
Collection
"NUAGE
ROUGE"
Fondée
en 1991 par Olivier Delavault
www.nuagerouge.com
THOMAS
BERGER
LE
RETOUR DE LITTLE BIG MAN
Return
of Little Big Man
Traduit
de l'anglais (Etats-Unis) par Danièle Laruelle
Cette collection qui comptait, au moment de la publication du présent livre, presque 80 ouvrages, a publié début mars 2000 la suite d'un de ses titres sorti en septembre 1991 : Little Big Man, mémoires d'un visage pâle, de Thomas Berger qui, dès 1965, eut déjà une belle carrière en langue française…
Un peu d'histoire !
C'est en 1964, au beau milieu des fameuses sixties, qu'un certain Thomas Berger, publie aux Etats-Unis un texte pas comme les autres, un texte où il y a des Indiens mais pas comme ailleurs, un texte où l'Amérique est aimée mais aussi critiquée, mordue, achevée et mise K.O pour ses travers les plus détestables par d'incroyables phrases assassines mais salvatrices ! Bien qu'Américain blanc, la voix de Thomas Berger a d'étranges accents et relents que l'on retrouve chez les écrivains Indiens et notamment Adrian C. Louis pour Colères sioux, et Indiens de tout poil et autre créatures, Le Rocher « Nuage rouge ». Alors que cet auteur paiute, pour ne parler que lui, devait déjà affûter ses crayons, Thomas Berger, lui, tirait à vue dans le tas des bonnes idées reçues à propos de la Conquête de l'Ouest et à l'esprit des Premiers américains qui, pour l'hémisphère nord, représentaient un peu plus de 500 nations.
Lorsq'un individu répondant au nom de Jack Crabb, illettré et mal embouché, s'ingénie, du fond de son hospice de vieillards, à dicter, au bel âge de cent onze ans, ses mémoires sur un magnétophone, cela donne un des livres les plus iconoclaste de ces dernières décennies. Par le biais de la substitution de personnage, le témoignage de Berger fait revivre les principaux événements des guerres indiennes des Plaines additionné d'une analyse salée des différents milieux sociaux américains de l'époque. Un monde en pleine mutation, déréglé, conquérant, illuminé, prédateur des Premières nations par les mêmes maux qui nous assaillent aujourd'hui. Détails à l'appui pour rire ou se fâcher.
Cette idée fantastique de l'auteur/Berger donna le chef d'oeuvre que l'on sait. Et lorsqu'en 1974, le cinéaste Arthur Penn embaucha le dénommé Dustin Hoffman, cela donna un fulgurant retour sur le grand écran du Western, un genre délaissé par les intelligenstia : le Western, les cow boys et les Indiens, c'est pour les enfants. En pleines années psychédéliques et de guerre du Viêt- Nam, le film fit fureur, à juste titre. L'Indien, une seconde fois était réhabilité par le cinéma via un chef d'oeuvre de roman derrière comme ce fut le cas pour l'ouvrage d'Elliott Arnold de 1942 Blood Brothers qui donna à l'écran Broken Arrow, La Flèche brisée. Dès 1951 les Editions Mondiales, lors de la sortie du Film de Delmer Daves, publièrent l'ouvrage et la présente collection le ressortit en 1992, après plus de trente ans d'absence du rayon des librairies.
Pour revenir à Little big Man, du côté français, un bon éditeur avait publié, dès 1965 la traduction française de Little Big Man. Incroyable, à l'époque ! Et sans film en plus ! Ainsi, les éditions Stock s'honorèrent de porter à la connaissance du plus grand nombre un livre qui est non seulement un grand roman, une grande fresque littéraire de l'Ouest mais aussi un documentaire vivant sur une période sombre de l'histoire américaine. L'ouvrage fut réédité en 1971 lors de la sortie du film de Penn en France et connu une petite carrière au Livre de Poche entre 1974 et le début des années 80. Par la suite, plus rien. Le livre resta de nombreuses années introuvable et l'édition de poche devint alors aussi difficile à se procurer que les éditions antérieures.
Le Retour
de Little Big Man est
une oeuvre démystificatrice qui s'inscrit dans la tradition
picaresque du roman de la route. Le personnage candide qui, dans le
premier volume nous livrait les Indiens et leur mode de vie de
l'intérieur, les présentait comme des êtres
humains à part entière, avec des qualités et des
travers, en profitait au passage pour nous faire un portrait pas
toujours très flatteur des héros blancs de l'Amérique.
Dans cette seconde partie du roman, Thomas Berger/Jack Crabb, de son
hospice de vieillards - il est âgé de cent onze ans -
décide, moyennant finances, de raconter les suites de sa vie
mouvementée sur un magnétophone. Une fabuleuse et
explosive récidive littéraire.
Ayant
perdu ses attaches indiennes, Jack Crabb nous entraîne à
sa suite sur les pistes de l'Ouest Sauvage à la rencontre de
personnages légendaires qui se révèlent souvent
plus grandes gueules qu'héroïques. Au moment où
cet anti-héros malgré lui, connu grâce au film
d'Arthur Penn avec Dustin Hoffmann, reprend langue avec l'Histoire,
nous trouvons un vagabond errant et pitoyable, hirsute, traînant
dans la boue de Deadwood. Nous côtoyons alors pêle-mêle
des figures légendaires que le texte laisse surgir au gré
des péripéties et des dangers qui assaillent Crabb.
Ainsi Bat Masterson et Wild Bill Hickok ; Hickok un personnage
attachant et noble auprès de qui Crabb devint un insolite
garde du corps dont il ne put, malgré sa vigilance, empêcher
le meurtre ; puis les frères Earp et Doc Holliday qui
s'efforcent de maintenir l'ordre à Tombstone, petite ville
frontière de l'Arizona, où nous vivons en direct -
toujours pris à témoin par le narrateur - les
incroyables événements qui menèrent au fameux
règlement de comptes à O.K. Corral. Le lecteur est
emmené dans le tourbillon d'un langage unique émanant
de la bouche d'un vieillard illettré et teigneux qui nous fait
fréquenter tout un monde de hâbleurs friands de
rhétorique et de rodomontades, les bars, les médecins
de foire, les as de la gâchette, les joueurs, les catins et la
petite bourgeoisie naissante des villes de l'Ouest.
Après
un passage épique dans une Mission indienne dans laquelle
notre bonhomme est engagé pour enseigner l'anglais à
des Cheyennes et à des Crows, Crabb, obligé de fuir
précipitamment suite à un funeste malentendu,
retrouvera une vieille connaissance en la personne de Buffalo Bill
qui l'embauchera comme son barman privé. Et c'est la grande
aventure du Wild West Show. Sur les routes de l'Est où Crabb
retrouvera des amis cheyennes, fera connaissance avec Annie Oakley,
ce petit monde du cirque - rejoint bientôt par Sitting Bull
-s'ébahira devant les grandes villes. On donnera même
une représentation mémorable devant la veuve Custer
avant de partir pour l'Europe. la Reine Victoria et son Jubilé
accueilleront la petite société, et la perfide Albion
verra le célèbre Black Elk avoir sa seconde vision. On
s'exhibera devant la Tour Eiffel - Black Elk revenant en France après
s'être perdu en Angleterre pour cause d'avoir raté le
bateau - avant d'aller à Marseille où la bouillabaisse
rendra les Indiens malades. Mitigés en Espagne, soupçonneux
en Italie où l'on s'offrira tout de même un tour de
gondole à Venise - une photo historique en fait foi… -
l'Allemagne réservera un triomphe au Wild West et son mythe.
Avec les
Sioux et autres Cheyennes, sourcilleux et fin observateurs, devenus
objets de spectacle mais toujours dignes, nous voyageons et voyons la
civilisation occidentale par leurs yeux au hasard des capitales
visitées par le spectacle : un morceau d'anthologie qui
installe le lecteur dans les profondeurs de bien salutaires
réflexions accompagnées d'irrésistibles rires,
une bien savoureuse truculence ! retour aux Etats-Unis, on assiste
alors, médusés, toujours avec Jack Crabb aux premières
loges de l'histoire, chroniqué minute par minute, à
l'inqualifiable meurtre de Sitting Bull par la police indienne qui
prélude à la fabuleuse débauche théâtrale
de l'Exposition Universelle de Chicago : les deux faces d'une même
pièce, l'Amérique et sa part d'ombre.
Dans ce
Retour
de Little Big Man,
Thomas Berger dramatise une vision de l'insoluble "question
indienne", et ses ambiguïtés - et là,
Berger/Crabb déchaîné s'en donne à coeur
joie et étrille copieusement « Les Amis des Indiens »,
leurs ennemis et les travers des sociétés de l'époque
- que l'on retrouve, tout autant acérée et sans
concessions dans les écrits de l'historien George E. Hyde. De
même, l'image qu'il donne de l'Ouest américain rejoint
l'analyse qu'en fait l'écrivain kiowa N. Scott Momaday dans
L'Homme
fait de mots.
Cocasse, impitoyable mais férocement lucide, iconoclaste mais
rigoureusement exact du point de vue historique, le récit fait
rire, grincer des dents, désespère et émeut.
A PROPOS DE THOMAS BERGER
Thomas Berger vit aux Etats-Unis. Cet écrivain très discret en a fait plus savoir sur son oeuvre que sur sa vie. Rien ne doit être dévoilé nous dit-on d'outre-atlantique, sa vie, son âge et tout le reste. Enigmatique, méconnu, mystérieux, Thomas Berger vient au monde entre les deux guerres. Ses livres marquent le parcours d'un écrivain à la fois déstabilisateur, iconoclaste mais aussi révèle un patient peintre de l'âme humaine et des sociétés qui les enfantent. Il s'amuse beaucoup à mettre le doigt là où ça fait mal mais mieux vaut parfois ce remède aux phrases électrochoc qu'une complaisance littéraire, polie, lisse, « autoroutière » même si celle-ci - cela arrive - ne se départit pas de talent. Berger a les deux. Il sait déranger et instruire. Il a du talent. Il suffit de savourer le ton du Little big Man de 1964. L'ouvrage remet en question le roman dit « Western » - mais finalement, qu'est-ce ici ce genre incriminé ? Avec Henri Miller et chez nous Céline quelques décennies avant, Berger est de ces auteurs qui transforment les modes littéraires et engendrent des oeuvres cultes. Il est de ceux qui, une fois le livre refermé après le mot fin, font que le lecteur voit le monde par un autre prisme. Berger a créé l'idée d'un avant et d'un après Little Big Man, a intéressé au Western tous ceux qui ne l'aimaient guère ou n'y avaient pas jusqu'alors prêté l'attention qu'il méritait.
OUVRAGES DE THOMAS BERGER PUBLIES EN FRANCE
Little Big Man, Mémoires d'un Visage Pâle,Stock 1965. Le Livre de Poche en 1971, le Rocher «Nuage rouge» 1991.
Pour tuer le temps, Stock 1968.
L'Invité, Fayard 1992.
Le Crime d'Orrie, Fayard 1994.
Rencontre avec le mal, Fayard 1995.
L'Arbre qui poussait à travers, Iona 1995.
©
Olivier Delavault - Mars 2000.